Vacations-Thomas Coville : « C’est un peu le scénario catastrophe »
Peux-tu nous décrire tes conditions actuelles au large du Cabo Frio ?
On est au près débridé dans une mer formée, les conditions sont difficiles, on a du mal à trouver le bon curseur sur Sodebo, on n’arrive pas à aller aussi vite que nos copains, c’était déjà un peu ça la première semaine. On essaie d’appuyer sur tous les boutons, on n’a pas encore tous les accessoires, on est un petit cran en-dessous, on a vu Gitana aller très vite, François a dû renvoyer de la toile plus tôt que nous, il nous a un peu décrochés. Chacun est aussi dans son tempo, avec la connaissance de son bateau, nous, on a un bateau neuf. C’est très inconfortable pour l’instant, je ne sais pas comment ils font pour aller à des vitesses plus élevées. On est conscients qu’on a un petit déficit de connaissance du bateau pour jouer avec les meilleurs. Mais bon, tout se passe super bien à bord, avec Jean-Luc, on s’entend toujours aussi bien, Martin est génial, il ne dort pas beaucoup, on a des petites avaries à droite à gauche de jeunesse du bateau, mais rien qui nous empêche de continuer.
Peux-tu revenir sur votre décision de faire demi-tour jeudi après votre passage à Rio ?
Quand on est arrivés à Rio, François (Gabart) s’arrêtait pour réparer, donc on se retrouvait en tête de la course. Il y avait deux options qui se dégageaient, dont une quand nous sommes arrivés : vu la direction du vent et la mer qu’il y avait, on n’avait pas d'autre choix que de partir sur cette route sud qui tentait de passer sous cette grosse dépression que nous sommes en train de contourner. Après une petite sieste, Jean-Luc me dit : « Thomas, je ne sais pas comment te dire ça, mais on ne va pas aussi vite que prévu, la dépression nous rattrape et on va se retrouver coincés au près dans 45-50 nœuds entre la dépression qui nous rattrape et la zone de glaces, on va devoir tirer des bords dans une mer démontée. » Donc, c’est la mort dans l’âme qu’on a décidé de virer de bord, on a essayé de faire du nord. On est à chaque fois tombés dans le mauvais timing de la dépression, si bien qu’on a fait 150 milles dans un sens et 150 dans l’autre au près dans de la mer très formée. Pour le moral, ce n’était pas terrible, parce qu’on ne s’était pas arrêtés, on s’était défoncés, pour finalement se retrouver dans une situation défavorable. C’est un peu le scénario catastrophe pour nous en termes de stratégie et de timing par rapport à la météo. C’est encore pire que de se faire « empétoler » dans le Pot-au-noir. On est finalement passés à Rio au mauvais moment par rapport à la situation météo qui s’offrait à nous dans l’Atlantique Sud. Et ceux qui se sont arrêtés n’en ont finalement pas souffert et quand ils sont revenus, ils étaient pleine balle au bon endroit. On a perdu les quelques centaines de milles qu’on avait construites.
Cela a effectivement dû être une décision difficile à prendre…
C’est vrai que quand on a pris cette décision, j’étais vraiment désabusé et vert, parce que si on réussissait à passer sous cette dépression, on doublait la mise et on se retrouvait avec une très confortable avance, on changeait de système avant les autres. Prendre cette décision de rebrousser chemin pour être en sécurité a été très difficile à prendre. Moi, j’avais envie d’y aller, mais la raison a fait que c’était dangereux. C’est difficile à accepter de perdre autant d’avance.
Peux-tu nous parler de cet Atlantique très compliqué ?
La suite est effectivement très compliquée, on est au près dans de la mer hachée et formée. On a du mal à avoir la même cadence que les autres, mais on y travaille. Après, il y a de tels impacts sur le bateau qu’on se dit qu’on n’en est qu’à la moitié de la course et qu’il faut peut-être les laisser s’énerver. On va avoir beaucoup de manœuvres ces prochaines heures, ça va reforcir la nuit prochaine avant qu’on arrive à l’approche de l’anticyclone où on devrait de nouveau se regrouper avec des vents faibles. Mais c’est encore un peu loin tout ça. Là, on essaie de s’appliquer à faire marcher le bateau sans trop le faire souffrir, ce qui n’est pas simple.
Photo : Martin Keruzoré/Sodebo Ultim 3