Gough Island dans le viseur
Si la mer s’est un peu assagie ce dimanche par rapport à vendredi et samedi, les messages envoyés ce dimanche par les media men, qui ont pu enfin taper des mots sur le clavier de leurs ordinateurs, témoignent de la rudesse des conditions que les quatre trimarans de « Brest Atlantiques » ont endurées pendant 48 heures. « Voilà quelques jours que le simple fait de se pencher sur un clavier pour vous écrire ces quelques lignes paraissait inenvisageable. L’unique challenge de rester accoudé face à un ordinateur alors que le bateau essaie de battre le record de saut en hauteur au milieu de l’Atlantique Sud était physiquement impossible à réaliser pour moi », explique ainsi Martin Keruzoré, sur Sodebo Ultim.
Avant d’ajouter, à propos de l’état d’esprit des skippers Thomas Coville et Jean-Luc Nélias : « Après ces trois jours d’enfer, ils sont ce matin cachés sous des cagoules, les traits tirés, la mine des mauvais jours, les yeux abîmés de fatigue. Le Sud avec le rythme de sa houle a dicté la vie à bord, à savoir des phrases courtes, beaucoup d’intonations et d’exclamations, au plus loin de la belle poésie. »
Son de cloche similaire pour Yann Riou, le media man du Maxi Edmond de Rothschild : « Ce soir, on devrait arriver à la porte des glaces. Ça ne sonne pas très engageant dit comme ça... Pourtant, ça signifie aussi qu’on en aura fini avec ce fichu bord de reaching ! Trois jours qu’on progresse face à la mer dans du vent soutenu. Alors oui, c’est devenu un peu moins pénible qu’en quittant Rio, mais il n’empêche, c’est compliqué. C’est compliqué de trouver le bon compromis pour aller vite sans risquer d’abîmer le bateau. C’est compliqué de trouver le sommeil entre deux sauts de vagues. Et c’est compliqué d’écrire ce message avec un clavier qui a du mal à bien vouloir rester campé sur mes genoux. Donc oui, on aura peut-être un peu froid, mais on est plutôt contents d’y arriver, dans ces fameux quarantièmes... »
Effectivement, c’est la nuit prochaine que le Maxi Edmond de Rothschild, après avoir laissé en fin de journée les îles Tristan da Cunha à bâbord, est attendu au niveau de Gough Island, île située en plein milieu de l’Atlantique Sud, à la limite nord de la zone d’exclusion des glaces (« ZEG »), dans laquelle les trimarans ont interdiction de pénétrer. Ralentis la nuit dernière dans une zone moins ventée, Franck Cammas et Charles Caudrelier ont depuis profité d’une mer moins « casse-bateau » pour allonger la foulée, flashés à 33.4 nœuds de moyenne entre les classements de 12h et 16h ! Ce qui leur a permis de retendre l’élastique avec leurs poursuivants, le trimaran MACIF (François Gabart/Gwénolé Gahinet) étant pointé à 16h à 103 milles (contre 51 huit heures plus tôt), Sodebo Ultim 3 à 223, Actual Leader (Yves Le Blevec/Alex Pella) à 340, dont la bâche aéro située derrière la poutre avant s'est déchirée dans une vague (voir le témoignage de Ronan Gladu).
Arrivés à Gough Island, qu’ils laisseront à tribord, les bateaux de tête vont alors se glisser sous un anticyclone dans du vent d’ouest qui va les obliger à multiplier les empannages le long de la « ZEG », tandis que derrière eux, Actual Leader devrait bénéficier d’une remontée progressive de cet anticyclone pour faire une route plus directe vers Le Cap, où les quatre trimarans sont attendus en une quinzaine d’heures à partir de la nuit de mercredi à jeudi.
Photo : Yann Riou/PolaRyse/Gitana SA