Armel Le Cléac’h : « Le jeu est encore très ouvert jusqu’à Brest »
As-tu pu suivre « Brest Atlantiques » depuis le départ le 5 novembre ?
Oui, j’ai suivi le début de la course en mer, quand j’étais sur la Jacques Vabre, j’essayais de regarder les classements, et même si je n’avais pas les images, l’équipe me donnait aussi quelques nouvelles. Après, juste après notre arrivée à Bahia, le Maxi Edmond de Rothschild s’y est arrêté pour son escale, on a donc pu voir Franck et Charles lors de ce « pit stop ». Et depuis, je suis de très près le déroulement de la course, avec le regroupement général à Rio, les quelques jours très difficiles qu’ils ont eus ensuite, la situation était assez exceptionnelle parce que c’est très rare d’avoir du près comme ça pour redescendre vers l’Afrique du Sud. Au niveau météo, ça m’intéresse de suivre leurs trajectoires et bien sûr, dans la perspective de notre futur trimaran Banque Populaire, je suis très attentif aux performances de chacun.
Après Rio, ils ont effectivement eu trois jours dans du près et de la houle de face, ils en sont tous sortis sans grosse casse, c’est rassurant ?
Oui, c’est encourageant, parce que ce sont les conditions dans lesquelles les bateaux sont les plus sollicités, quand on commence à mettre le pied sur le frein et qu’on ne peut pas aller à 100% des polaires, parce que ça tape de partout. Nous avions vécu ça l’an dernier sur la Route du Rhum, ça avait provoqué quelques problèmes importants, là, clairement, le test est passé et les quatre bateaux sont toujours en course, même si Sodebo va s’arrêter, mais pas pour un problème lié à cette météo. Le fait de fiabiliser les bateaux dans toutes les conditions est un des enjeux importants de la première étape que nous voulons franchir avec la Classe Ultim 32/23, c’est très positif qu’ils aient passé ça, parce que c’est plus difficile à vivre que les vents forts au portant dans les mers du Sud, où tu subis beaucoup moins la mer. Maintenant, je me mets à leur place, ça n’a pas dû être drôle pour les équipages, parce que c’est hyper violent à bord, on a du mal à se tenir de bout, à manger et à dormir, sans compter le stress.
Les seules avaries importantes ont été consécutives à des chocs avec des objets flottants non-identifiés, il n’y a rien à faire contre ça ?
Malheureusement, on se rend compte que sur toutes les courses, des bateaux ont ce genre d’avarie, on l’a vu sur la Transat Jacques Vabre avec Alex Thomson qui a perdu sa quille, et effectivement sur « Brest Atlantiques » pour tous les bateaux, sauf Actual Leader. Et comme nos Ultim vont plus vite, les chocs sont encore plus violents quand ils surviennent, ça provoque forcément une avarie problématique pour la performance et la sécurité des bateaux. Maintenant, il ne faut pas se dire qu’il n’y a rien à faire. On n’évitera jamais les chocs, mais on peut peut-être trouver des solutions pour travailler sur une meilleure résistance des pièces, pour avoir des plans porteurs moins compliqués à réparer. Ce qui est certain, c’est qu’avec le Team Banque Populaire, ça fait partie des éléments sur lesquels on va réfléchir, compte tenu, notamment, de ce qu’il se passe sur « Brest Atlantiques ».
Comment analyses-tu les performances des quatre bateaux ?
On sent que le Maxi Edmond de Rothschild, dès qu’il serre un peu le vent, a une aisance en vitesse, ils ont une capacité à accélérer que n’ont pas forcément les autres, c’est un peu dans la continuité de ce que nous avions vu en 2018. Maintenant, François et Gwénolé ne sont pas loin derrière, d’autant que la météo les aide à revenir un peu, et je pense que les conditions après Le Cap peuvent les favoriser. Le jeu est encore très ouvert jusqu’à Brest, ils viennent tout juste de passer la moitié de la course, je pense qu’il va se passer beaucoup de choses d’ici l’arrivée. Derrière, c’est forcément plus compliqué pour Sodebo avec la casse de leur safran, mais ils ont eux aussi montré de belles choses depuis le départ, et Actual Leader joue avec ses cartes, on sait que le bateau est un peu moins rapide, mais c’est le seul à ne pas avoir eu d’avarie majeure, ce qui lui permet lui aussi de rester au contact. On se rend compte que dès qu’il y a une avarie, ça se compte vite en quelques centaines de milles. Quand on regarde la cartographie aujourd’hui, les bateaux sont quand même très proches, c’est top ! Et au regard de la météo après Le Cap, ça n’a pas l’air simple, je pense que ça va ouvrir des perspectives de stratégies différentes. J’adore suivre la course et ça donne envie !
Justement, tu te projettes sur ton futur trimaran Ultim quand tu vois les images envoyées par les media men ?
Oui, complètement. J’essaie d’imaginer aussi quand je vois leurs trajectoires et la météo quel type de voilures ils ont, comment ils mènent le bateau, c’était justement intéressant de voir les vitesses qu’ils ont pu tenir après Rio dans la mer forte. Il y a des choses qu’on note, parce que nous, aujourd’hui, on est un peu orphelins, il va falloir patienter encore plus d’un an pour avoir notre bateau, donc si on peut s’enrichir en regardant les autres, on le fait. « Brest Atlantiques » est pour nous un super enseignement, parce que les conditions sont très variées et que les bateaux sont différents.
Seras-tu à Brest pour les accueillir ?
Oui, bien sûr ! Je n’ai pas encore regardé précisément les estimations d’arrivées, mais je serai là avec plaisir pour les accueillir, en espérant que les quatre seront à l’arrivée, c’est la priorité.
Photo : Easy Ride / BPCE