Visual Story du 17 nov. 2019 / Jour de course #12
Ronan Gladu / Mediaman à bord de Actual Leader
La vie est toujours dure sur Actual Leader, alors que nous entamons ce 3è jour (ou 4è ? Je ne sais plus !) à nous battre avec cette tempête en Atlantique sud. Depuis Rio, nous n'avons pas vu le soleil, il pleut et il fait de plus en plus froid à mesure que l'on plonge dans le sud.
Nous ne sommes plus au près, la mer est toujours pourrie, mais de manière moins fréquente : le bateau accélère sur les portions « plates » pour une sanction 2 fois pire à la première double vague qui gonfle : encore plus violent et flippant !
Du coup, à force de mal traiter le trimaran, la casse arrive : hier samedi à la tombée de la nuit la « bâche aéro » s’est arrachée dans une vague. En dessous et une partie seulement, au vent et sur bâbord.
Qu’est-ce que c’est que ce truc ? C’est le carénage situé derrière la poutre avant, pour un meilleur écoulement de l’air, qui tient également… tout le filet !! Si la bâche lâche, c’est tout le « trampoline » bâbord qui part à l’eau : catastrophique.
Yves et Alex se sont battus jusqu’à la nuit pour stopper l’hémorragie. Pour l’instant ça tient. Mais il faut absolument envisager une vraie réparation, seulement là, la mer est démontée… Et il y a une autre urgence : le front de la tempête se rapproche dangereusement derrière nous !
La réparation de fortune nous a mis dans une situation délicate : d’après notre routeur, le front n’est plus qu’à 30 milles et il avance vers nous à une vitesse indéterminée (de 20 à 35nds en gros).
S'il nous rattrape, le vent va adonner et faiblir… Et on se retrouvera derrière, sans vent, avec la mer démontée : la course sera finie. Il faut que l'on arrive à se faire pousser dans l’anti-cyclone qui est devant, avec les autres. Pour ça, on doit rester en avant jusqu’à lundi matin.
Mais la pluie redouble d’intensité, le vent commence à faiblir, et tourner nord-ouest : c’est la cata, il arrive ! Branle-bas de combat à bord : on enlève un ris ? Non, on envoi le J2 !
Et c’est parti pour une course folle avec les nuages qui va durer presque toute la nuit.
Alex me briefe, une main sur chaque écoute : tu vois, ça, c’est la direction du vent : en-dessous de 10°, on est mort. En-dessous de 20 nœuds de vent, c’est cuit aussi ! L'anémomètre évolue en permanence, jusqu’à un vent plus bas de 14nds au 345°… Yves grogne, Alex se cache les yeux pour ne pas voir les chiffres « ça peut être encore un grain devant le front, si c’est le cas, ça va repartir fort, faites attention ».
Paf, d’un coup le vent monte à 25-28 nds au 15°, le trimaran vrombit, s’envole à l’abatée (il passe de 18 à 30, 35 nds de vitesse !)… Impossible de tenir debout, nos cœurs font des bonds pendant qu’Alex choque tout ce qu’il peut, tout en essayant de pas se faire embarquer par l’écoute et les mouvements du bateau. Tout ça sur fond sonore de vent / pluie battante, sifflement, craquement du carbone et hurlement des bouts qui dérapent sur les winchs !!
C’est chaud, mais au moins on est devant, jusqu’à la prochaine molle ! Moi, je suis littéralement jaune de trouille, le palpitant à 100 milles. Je finis par aller me réfugier dans ma bannette : littéralement cramponné au carbone à chaque accélération, le bateau finit par sauter sur une vague. Silence et haut le cœur, puis fracas terrible à la réception -le corps s’enfonce dans le pouf- pour finir par le « coup de fouet ». Effet caractéristique des multicoques en carbone, le peu de déformation de la plateforme se transmet sous forme d’onde de choc dans le bateau, dans nos corps. Un peu comme un tremblement de terre. Bref, je n'ai évidemment pas dormi de la nuit et j’ai des crampes partout, à force d’être crispé à chaque départ enflammé !
Yves & Alex n'ont bien sûr pas dormi. Après un « beau planté », ils ont réduit le J3 et continué à accélérer avec la moindre risée… Mais ils l’ont fait !! Apparemment, nous avons la 2è vitesse moyenne la plus rapide de la flotte cette nuit, mème si c’était avec les nuages que l'on se battait !
Là, nous fusons littéralement à plus de 30nds dans une mer un peu plus rangée mais avec de belles rampes, qui me permettent encore de voler au plafond en écrivant ces lignes !
On est toujours en mode #VieDesbetes, nous avons sorti nos sous-combinaisons en Gore-tex pour tenter de chasser l’humidité du ciré… et du bateau : il y a de l’eau partout au fond de la coque.
Ça fait 2 jours que je ne mange pas, je n'ai pas envie de voler à travers le bateau une fois sur « le trône » ! Mais j’ai enfin pris le pli de pisser au milieu du cockpit et des discussions… #VieDesBetes.
Ce soir, le vent forcit, « 30nds fichier », j’espère qu’Yves et Alex vont s’accorder sur un 3eme ris !
Martin Keruzoré / Mediaman à bord de Sodebo Ultim 3
Voilà quelques jours que le simple fait de se pencher sur un clavier pour vous écrire ses quelques lignes paraissait inenvisageable. Non pas que l’envie de vous faire part de ce que nous traversons à bord ne soit pas là, mais l’unique challenge de rester accoudé face à un ordinateur alors que le bateau essaye de battre le record de saut en hauteur au milieu de l’Atlantique Sud était physiquement impossible à réaliser pour moi.
Par où commencer cette carte postale....
A voir leurs visages après ses trois jours de mer, d’enfer, ils sont ce matin cachés sous des cagoules, les traits tirés, la mine des mauvais jours, les yeux abîmés de fatigues. Le Sud avec le rythme de sa houle a dicté la vie à bord, à savoir des phrases courtes, beaucoup d’intonations et d’exclamations, au plus loin de la belle poésie. Périodiquement, réglé chaque minute, après s’être élancé à vive allures par vent de travers sur un grand tremplin bleu déferlant blanc, nous nous retrouvons suspendus, dans le silence, en plein vol, ou plutôt en chute libre. Tout s’arrête, le moment pourrait être magique, en apesanteur à 4 mètres au-dessus d’un océan déchaîné, cela pourrait l’être si le traumatisme de la dernière chute n’était pas ancré en nous. On redescend, ça va taper, un grand coup, par réflexe le corps de gaine, c’est long, on attend, impact imminent. Un bruit sec de destruction raisonne, ça rentre en vibration jusqu’au plus profond de nous, le corps et le bateau ont mal. L’impression de retomber sur une mer d’acier, un choc entre deux éléments solides, que tout oppose.
Dans la cellule ou nous vivons depuis près de deux semaines, c’est le chaos. Les casiers contenant à la base nos affaires et notre nourriture sont éventrés, le sol est tapissé d’objets en tous genre, une orange qui roule sous le vent, une chaussette qui joue les éponges, une glacière qui sert de caisse à outils. Que pouvons-nous faire en attendant la prochaine vague, la prochaine punition, qui ne cesse de nous être infligée jours et nuits depuis que nous avons quitté Rio ? On va patienter, continuer à faire marcher le bateau, continuer à manger, vivre, (on rangera après promis...) en espérant voir rapidement le bout de tunnel pour y faire les comptes.
Écrit sur ipad entre deux sauts de vague.
Yann Riou / Mediaman à bord de Edmond de Rothschild
Ce soir on devrait arriver à la porte des glaces. Ça ne sonne pas très engageant dit comme ça... Pourtant, ça signifie aussi qu’on en aura fini avec ce fichu bord de reaching ! Trois jours qu’on progresse face à la mer dans du vent soutenu. Alors oui, c’est devenu un peu moins pénible qu’en quittant Rio, mais il n’empêche, c’est compliqué. C’est compliqué de trouver le bon compromis pour aller vite sans risquer d’abîmer le bateau. C’est compliqué de trouver le sommeil entre deux sauts de vagues. Et c’est compliqué d’écrire ce message avec un clavier qui a du mal à bien vouloir rester campé sur mes genoux. Donc oui, on aura peut-être un peu froid, mais on est plutôt content d’y arriver, dans ces fameux quarantièmes...