Visual Story du 6 nov. 2019 / Jour de course #1
Martin Keruzoré / Mediaman à bord de Sodebo Ultim 3
Voilà presque 24h que nous avons quitté le port de Brest, voilà presque 24h que nous évoluons en terrain hostile, à travers un véritable champ de bosses et que nous sommes propulsés par un vent oscillant entre 30 et 40 noeuds.
La mise en jambe est rude, Thomas et Jean-Luc n’ont pas quitté les cirés et les casques depuis le départ, les écoutes en mains, le bateau file vers le sud en flirtant avec les 44 noeuds. A bord, la vie s’organise difficilement, les déplacements dans le cockpit sont périlleux et laborieux, le moindre petit geste du quotidien prend ici trois fois plus de temps pour être exécuté. Manger en équilibre ou avachis à même le sol, chacun sa technique. La nuit tombante, on aurait plus l’impression d’être dans un manège de parc d’attraction que sur un trimaran Ultim. La forte houle venant de notre travers tribord rend les mouvements du bateau imprévisibles. Ça fume et ça cogne, les embruns balayent constamment la cellule de vie et les vagues viennent jouer avec les flotteurs.
Dans quelques heures les conditions devraient être plus maniables, de quoi nous laisser la possibilité de manger notre premier repas chaud depuis 24h. A l’heure où je clôture ce petit message, Jean-Luc sort de sa sieste et m’explique qu’il est impossible de dormir dans ces conditions quand le bateau joue à saute-moutons.
Yann Riou / Mediaman à bord de Maxi Edmond de Rothschild
« Hier soir on a fait le choix de passer à l’intérieur du DST de Finisterre. Choix conservateur qui nous permettait de garder un cap plus abattu dans le golfe de Gascogne. On a donc rasé les côtes galiciennes ! On a vu des phares, des bateaux et on a même eu le droit à un peu de 4G. Pour accompagner tout ça, je me suis fait quelques tranches de jambon local. C’est aussi à ce moment-là que la mer et le vent se sont franchement calmés, et que l’on a pu s’alimenter plus normalement. La nuit a quand même été tonique avec quelques manœuvres, des moyennes élevées et une visibilité pas toujours au top. Ce matin au changement de quart, Franck et Charles montraient une certaine satisfaction de se trouver « déjà » à la latitude de Lisbonne - ou presque.
Pour Franck, « après une entame de course prudente dans des conditions extrêmes, on entre petit à petit dans un mode régate. »
Ronan Gladu / Mediaman à bord d'ACTUAL LEADER
Le départ de Brest de bon matin était plutôt existant, agréable : Dire au revoir à la maison, les potes, la famille, sous les applaudissements. Mais surtout entouré de l’Ulteam Actual-Leader : Comme d’habitude, Ils était tous au taquets, super pros, dans la bonne humeur !
A l’abri de la rade, entouré de tous ces marins, semi-rigides au lever du soleil, que du bonheur.
Puis on a commencé à « larguer » des équipiers, à mesure qu’on sortait du goulet, tout en accélérant, pendant que le vent rentrait, la houle aussi… pour se retrouver uniquement tous les 3 au phare du Petit Minou, hors de la rade.
2 ris dans la grand voile, sans voile d’avant, même configuration pour les 4 concurrents… ce qui donne encore plus des allures de guerrier à ces géants, presque nus.
Plus on s’approchait de la ligne (bien au large de l’ile de Sein), plus la houle gonflait, la mer devenait blanche et nos derniers accompagnateurs faisaient demi-tour… le dernier que j’ai vu, c’était un jet-ski de la SNSM qui faisait des bons monstrueux, sans arriver à nous suivre !
Et là, clairement, c’était flippant pour moi, habitué à contempler ce paysage de désolation depuis la terre, à chercher un « repli », un spot de surf à l’abri… J’étais clairement hors de ma zone de confort ! C’est encore plus impressionnant de voir les autres Ultim se faire balader comme des jouets au milieu de la mer déchaînée.
Heureusement, Yves & Alex avaiten l’air détendu : les mers blanches et la houle massive du large, ils connaissent !
Juste avant la ligne de départ, viennent nos derniers « amis de la terre », un ballet d’hélicoptères… qui donnent à nouveau l’échelle aux éléments… surtout quand certains disparaissent derrière les vagues: flippant !!
J’ai pas vu le bateau militaire « bateau comité », ni la bouée « 0ccidentale de Sein », qui matérialisaient la ligne de départ mais j’étais cramponné à ma caméra.
Pendant ce temps, Alex faisait des petits bons et cris de bonheur à l’idée d’être enfin parti et Yves était bien concentré à la barre, sourire aux lèvres !
J’ai d’abord profité de cette euphorie pour faire des images tant bien que mal, mais j’étais vite stressé par les surfs du bateau, de 32m de long… et puis surtout le haut de crête des vagues qui partait en grosse mousse : Pour les surfers, ça arrive quand les vagues « saturées », sont trop grosses pour le type de spot/fond.
Et puis on a passé le plateau continental… là c’est devenu les montagnes russes : 25 nds en haut de crête, 38 nds en bas de la descente !! Toujours avec 2 ris dans la grand voile, seule !
Le moment pour moi d’aller faire un « bout à bout » un mini montage vidéo pour les TV… A propos de TV, cela fait une semaine que je répète à chaque ITV que j’ai « jamais eu le mal de mer ».
Tu parles ! J’ai pas vomi, mais j’ai badé, grave : Impossible de bosser sur l’ordi à fond de cale. Sur le pont, c’est l’apocalypse. Du coup j’ai fini en PLS dans ma bannette, à écouter mes tripes faire des bons à chaque surf.
Heureusement, ça va vite, très vite un Ultim ! En 10 heures on était au cap Finisterre et maintenant, 24h plus tard, on est déjà au Portugal ! La mer s’est calmeé, mais du coup Yves & Alex accélèrent de plus en plus… maintenant c’est 33nds dans les montées, 40nds dans les descentes ! "
Brest, le goulet, la houle, le vent qui siffle, le soleil... On jongle entre les vagues, à peine un regard vers le bateau comité, on a déjà passé la ligne. Dans tout ce vacarme, François crie, c’est bon, bon départ. Et on s’engouffre dans le sud. Une descente fulgurante nous attend, enfin m’attend moi surtout, car mes deux compères la connaisse bien, mais pas moi.
Ils sont rassurants François et Gwéno, forts dans leurs bottes, le regard concentré sur ces tableaux pleins de chiffres... Je n’en comprends pas la moitié, mais je fais semblant ; je les regarde aussi, ça me rassure.
Ça tape, ça hurle, le trimaran MACIF accélère, une longue et vertigineuse descente.
On est au-delà des 40 nœuds, c’est grisant, tel des cavaliers sur leurs montures, les cheveux dans le vent, le sourire aux lèvres…
On reconnaît rapidement le bout de la descente, le bateau est à pleine vitesse, il commence à trembler de partout, les foils vibrent, 45, 46... Et il retombe pour mieux recommencer.
Je filme, c’est pour ça que je suis là, je m’étale comme je peux, où je peux, pour être stable, pour trouver un angle… Je descends, mon bureau m’attend, le service com aussi.
Je prépare tout minutieusement, au moment de m’installer, il me manque un câble, il a dû glisser là, ou là, ou là…
Chaque geste devient surhumain, un peu comme sur un sommet ; chaque geste compte, alors je retourne les poufs, et après 10mn, je le retrouve et je transpire. J'ai volé 12 fois dans la coque, et toutes les 3 minutes, je m’allongeais pour reprendre des forces.
Mon montage envoyé, je suis allé voir mes deux compères, toujours droits dans leurs bottes, le regard vers l’horizon. Tout allait bien…
J’ai retourné des images dans la nuit, j’ai ensuite plutôt bien dormi. Ce matin la lumière était belle, j’en ai profité, puis vaisselle, préparation du repas... Cela n’avait pas l’air trop mauvais, en même temps louper un repas lyophilisé…
La journée passe ainsi rythmée par le vent qui baisse, qui monte, et ces furieuses accélérations. Mais on a le sourire tous les 3.